95 milliards d’euros par an : le coût des méfaits de la virilité

Si les hommes se comportaient comme les femmes, l’argent économisé par l’Etat permettrait de financer, quasi intégralement en un an, le plan de relance économique de 100 milliards d’euros annoncé par le gouvernement. C’est le constat implacable de l’historienne et membre du Laboratoire de l’égalité, Lucile Peytavin, qui sort ce vendredi un premier essai : « Le coût de la virilité » (Éditions Anne Carrière). Dans cet ouvrage, elle estime le prix de la violence masculine, qui pèse sur la société dans son ensemble, à 95,2 milliards par an. Un chiffre faramineux auquel elle aboutit, à l’issue d’une analyse minutieuse des préjudices causés par une masculinité toxique.

« Lorsque j’ai parlé de mon projet aux hommes de mon entourage, certains se sont sentis visés. Je vais le dire très clairement : je ne m’attaque pas aux hommes dans cet essai mais à cette éducation qui valorise et perpétue les valeurs viriles de force, de résistance à la douleur, au détriment des sentiments, de l’empathie... On ne naît pas violent, il n’existe pas de prédisposition génétique à cela, on le devient. Ce sont des schémas culturels, plus ou moins conscients, qui poussent à une éducation différenciée entre filles et garçons et entraînent ces derniers vers des comportements dangereux, voire violents. Ces comportements ont des conséquences sur le bien commun. Il est temps d’en prendre conscience », alerte l’historienne.

Les comportements masculins mobilisent, chaque année, 7 milliards d’euros sur le budget de la Justice
Lucile Peytavin ne cache en rien les obstacles, d’un point de vue méthodologique, pour arriver à cette estimation. « Il n’existe pas d’étude synthétique sur ce phénomène des méfaits de la virilité. J’ai dû faire un gros travail de recherche car les chiffres sont disséminés un peu partout, notamment dans les ministères. Par ailleurs, je n’ai pas eu accès aux données de nombreuses infractions qui ne sont pas ventilées par sexe, et puis tout le monde ne porte pas plainte. Le chiffre de cette estimation est donc probablement encore plus important », avance l’autrice.

Une chose est sûre : les hommes sont responsables de la majorité des comportements asociaux et le « gouffre statistique » qui existe entre les hommes et les femmes à ce sujet est ignoré. Petit inventaire à la Prévert : la gent masculine représente 83 % des 2 millions d’auteurs d’infractions pénales traitées annuellement par les parquets et 90 % des personnes condamnées par la justice, 86 % des mis en cause pour meurtre, 99 % des auteurs de viols, 84 % des auteurs d’accidents routiers mortels, 95 % des mis en cause pour vols violents avec arme et...96,3 % de la population carcérale. Rien que sur le budget de la Justice (9 Mds€), les comportements masculins mobilisent, chaque année, 7 milliards.

Combien de fonctionnaires de police ou de gendarmes, de magistrats, de personnels pénitentiaires ont-ils été nécessaires pour faire face à cette situation ? Dans le même temps, quel est le coût de la prise en charge physique et/ou psychologique d’une éventuelle victime ? Les pertes de productivité ? Les répercussions d’un sentiment d’insécurité sur les secteurs économiques les plus divers (comme le tourisme) ? Ces questionnements sont le fondement de cet essai.

Dans le monde, le taux d’incarcération des femmes se situe entre 3 et 20 %
Milieu social, âge, environnement... ces critères sont utilisés par les services de sécurité pour cerner au mieux le profil des délinquants et criminels. « Or, si ces facteurs jouent indéniablement un rôle et peuvent parfois se cumuler, ils sont selon moi toujours secondaires au regard de l’éducation différentielle donnée aux enfants selon leur sexe », tranche Lucile Peytavin dans son ouvrage. Sur quoi s’appuie son opinion ? « Quels que soient le milieu social et l’époque considérés, les chiffres attestent que les femmes s’adonnent largement moins à la violence que les hommes. Et cela reste vrai pour celles qui grandissent dans la pauvreté, sous les coups, ou en étant victimes d’agressions sexuelles. La misère est donc un facteur beaucoup moins déterminant que le sexe. » D’ailleurs, à travers le monde, le taux d’incarcération des femmes se situe entre 3 et 20 % (le taux le plus élevé est à Hongkong). Les enjeux de la virilité se posent donc à l’échelle internationale.

« On a tellement intégré que c’est, soi-disant, dans la nature des hommes que, paradoxalement, cela invisibilise leur surreprésentation. À tel point que lorsqu’une femme est violente, cela surprend tout le monde, ce n’est pas considéré comme normal et fait les gros titres », illustre encore l’autrice. Le chanteur Renaud le disait déjà en 1985, dans la chanson “Miss Maggie”, où il souligne l’absence de la responsabilité des femmes dans les pires actes commis par l’humanité. Tout en égratignant au passage, la politique de Margaret Thatcher, faisant d’elle l’exception.

Quand un homme ne correspond pas à la “norme” masculine, n’est pas à la hauteur des stéréotypes “virils” que l’on attend de lui, il se retrouve souvent lui aussi victime de cette injonction à “être un bonhomme”. Alors que les “mâles” se suicident 3 à 4 fois plus que les femmes, les risques sont décuplés chez les jeunes homosexuels, transsexuels ou chez les hommes âgés.

Une personne tuée « coûte » 3,241 millions d’euros à la société
Parce qu’ils se mettent plus en danger que les femmes, les hommes sont notamment plus nombreux à passer aux urgences. Quel que soit l’âge, leur taux de mortalité prématurée (avant 65 ans) est 2,1 fois plus élevé que chez les femmes et leur taux de mortalité prématurée évitable (causée par un comportement à risque) est 3,3 fois plus important. Le coût de la virilité estimé dans les services de santé ? 2,3 milliards par an. Dans son calcul, Lucile Peytavin s’appuie aussi sur la « valeur de la vie statistique », définie dans le rapport Quinet, paru en 2013 et basé sur les travaux de l’OCDE.

« Les traumatismes physiques et psychologiques causant douleur et détresse relèvent de l’humain et sont d’un ordre infiniment supérieur à la dimension financière que j’évoque dans cet essai, reconnaît l’autrice. Ils ont cependant eux aussi des répercussions économiques qui peuvent et doivent être chiffrées ». On apprend ainsi qu’une personne tuée « coûte » 3,241 millions d’euros à la société ou encore 405 180 euros pour un blessé hospitalisé plus de 24 heures. « Alors oui, si les hommes se comportaient comme les femmes, nous vivrions dans une société plus riche et plus libre », plaide Lucile Peytavin.

95 milliards d’euros par an : le coût des méfaits de la virilité

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