Laissez l'Everest aux petits grimpeurs.
- Le 11/06/2019
- Dans Articles de fond
Une photo a récemment été prise au sommet de l'Everest montrant une file d’attente ininterrompue de plusieurs centaines de personnes patientant pour toucher le toit du monde à plus de 8000 mètres d'altitude, dans un froid extrême et un taux d'oxygène particulièrement réduit. De véritables conditions de survie puisque des alpinistes meurent (!) dans cette attente.
Les limites que repousse l'homme dans sa quête d'élévation, la volonté et la masse d'énergie investies, les souffrances, la prise de risque jusqu’au côtoiement à la mort sont remarquables. Sont-elles pour autant admirables ? Elles ne sont que des prises de risques plus ou moins bien calculés. Un intérêt s’y cache donc probablement.
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Au-delà de l’analyse sociologique du vecteur pour se construire une image de héros, ramenons cette quête d'existence et de positionnement très au-dessus de la masse à un de ses principaux objectifs, la nourriture de l'ego.
Nous avons tous besoin de notre cher « je suis » et il n’est pas question ici de remettre en cause sa légitimité. Notre cohabitation avec ce qu’il génère dans nos vies n’en est pas pour autant facile. Pour l'essentiel elle dépend de la qualité de ce avec quoi nous le nourrissons, grande responsabilité de notre vie.
Notre quête d'existence passe par la révélation au monde de notre différence, chemin naturel dans lequel il est facile de s'égarer en l'alimentant à des sources qui nous sont extérieures au lieu d'aller la chercher en nous.
Ce monde offre une myriade de biens et de statuts qui sollicitent en permanence notre tentation de la facilité. Nous l'avons créé pour cela. Pèle mêle nous est proposé d’exister en possédant une voiture, une maison, une montre, un vêtement affichant une grande marque, un rôle social, un statut de pouvoir, une étiquette quelconque permettant de la revendiquer, une image de surhomme grimpant les sommets, jusqu'à se sentir exister parce que notre moto fait un bruit que les autres ne font pas (m’avez-vous bien entendu passer dans la rue ?).
Ces dernières années un exemple s'est matérialisé sous la forme d'un petit objet gavé de technologies et d'image que nous pouvons ostensiblement montrer avec nous. Le succès planétaire d'un géant du numérique s'est construit sur cette illusion, en faisant pour un temps la plus puissante entreprise du monde. Je suis différent par ce que c'est le meilleur et que je le possède. Tout le monde ne le peut pas parce qu'il est très cher. Plus il l'est, plus la logique semble nourrir l'égo, jusqu'au point de bascule où l'utilisateur se rend compte qu'il n’a rien d'unique puisqu'il fait partie des plus d'un milliard de personnes qui se font manipuler par leur choix de la facilité à chercher à l'extérieur d'eux leur différence. De très nombreuses briques du système exploitent évidemment la faille puisque nous rendons la manoeuvre si... facile.
Pour accéder à cette pléthore de substituts, nous pouvons prendre plus ou moins de risques jusqu'à la limite des limites, la mise en péril de notre vie. Tous révèlent le jeu de l'ego cherchant à se nourrir le plus facilement possible, et s'il le faut en escaladant l'Everest. Mais même en atteignant cette extrémité, la file d'attente dans laquelle meurent des alpinistes révèle qu’en aucun cas elle n'est le lieu de notre unicité.
Le dépassement de soi est le moteur de notre évolution. Mais cette terminologie pour le moins ambigüe nous induit en erreur. Notre soi est notre centre, le dépasser un contre sens qui nous amène à partir dans la mauvaise direction, exactement opposée. Pour contacter avec certitude votre différence absolument unique, pour accéder à une paix intérieure libérée de la peur de ne pas exister, pour ne plus vous sentir en compétition l'existence de chacun prenant enfin son sens, vous devez vous tourner vers l'intérieur. Et votre ego ne va pas être "content".
Se rapprocher de votre authenticité, dévoiler vos émotions, votre sensibilité, vos failles, semble aller à l'opposé de la mission que vous lui avez assigné depuis votre petite enfance. Vous lui avez demandé d'être ce vêtement que vous présentez au monde et qui vous en protègerait. Vous avez maintenant à le rassurer et le connecter à votre véritable soi, là où se trouve la paix et l'assise d'une vie harmonieuse.
Pour y accéder une mise à mort doit avoir lieu. Pas de l'ego lui-même mais de la mission que vous lui aviez donnée pour assurer votre survie dans un monde hostile. Il n’est plus question d'un risque, encore sous son contrôle, mais du choix conscient de mourir ou tout du moins de vivre ce sentiment d'une force telle qu'il en a toute l'apparence. Là se révèle le plus grand des courages, le véritable héroïsme. Choisir de passer par la mort, la plus grande et effrayante de nos peurs. Une épreuve à la hauteur de cet accouchement, de cette seconde naissance, de cette recréation qui peut prendre une vie entière et que notre libre arbitre nous donne le privilège de choisir... ou pas. Car au premier abord cette proposition peu attrayante précipite la plupart d'entre nous dans la direction opposée.
Vous pouvez donc persister dans ce choix en acceptant les conséquences dans votre vie. Mais la loi de l'équilibre tendra à créer une pression de plus en plus forte pour vous faire revenir dans la bonne direction. Vous n'avez pas compris ? La vie vous repassera le plat encore et encore, chaque fois plus chargé. Quel que soit le temps que vous mettrez à le faire, vous évoluerez. Car il n’y a qu’un sens à la marche, la-haut tout la-haut. L'Everest en est le symbole.
PS : Si vous vous interrogez sur la présence de cet article dans le site vous pouvez essayer de distinguer sur la photo le ratio hommes/femmes de la file d’attente…